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Sakoku: l'isolationnisme extrême du Japon des Tokugawa expliqué

Sakoku

 Le Sakoku désigne la politique isolationniste extrême menée par le shogunat Tokugawa au Japon entre 1603 et 1868. Pendant cette période, le pays s'est complètement coupé du reste du monde, interdisant presque tout contact avec l'extérieur. Seules certaines relations commerciales restreintes avec la Chine, la Corée et les Pays-Bas étaient autorisées, sous contrôle strict du shogunat. Le Sakoku est un épisode unique dans l'histoire du Japon, témoignant d'un isolement total cherchant à préserver la paix et la stabilité intérieures.

Sommaire

I - Les origines du Sakoku japonais

L'avènement du shogunat Tokugawa en 1603 constitue un tournant décisif dans l'histoire du Japon. Après plus d'un siècle de chaos et de guerres civiles sanglantes, le pays renoue enfin avec la paix et la stabilité politique sous l'autorité du shogun Tokugawa Ieyasu.

Mais cette paix demeure encore fragile et récente. Le souvenir des violences passées est bien présent et la menace de nouveaux troubles plane toujours. Dans ce contexte, le shogunat Tokugawa va progressivement mettre en place une politique radicale visant à préserver coûte que coûte la paix intérieure acquise : il s'agit du Sakoku, qui coupera quasiment tout lien entre le Japon et le reste du monde.

Sakoku

Un pays traumatisé par un siècle de guerres

Pour bien comprendre les origines du Sakoku, il faut revenir sur le « siècle de guerres » qu'a traversé le Japon entre 1467 et 1568. Cette période, appelée Sengoku, a été marquée par des affrontements violents entre les différents seigneurs de guerre qui se disputaient le pouvoir. Le pays a sombré dans le chaos, avec des batailles sanglantes faisant rage un peu partout.

Ces guerres incessantes ont profondément traumatisé la société japonaise. La population a énormément souffert, entre massacres, destructions et famines. Au total, près de 3 millions de personnes auraient péri durant cette période trouble selon les estimations.

Lorsque Tokugawa Ieyasu parvint à imposer son autorité sur l'ensemble du pays en 1600, avant de fonder officiellement le shogunat Tokugawa en 1603, l'immense soulagement était palpable. Mais le souvenir des violences passées restait ancré dans tous les esprits...

La menace potentielle des puissances étrangères

Un autre facteur a poussé le shogunat Tokugawa à adopter une politique isolationniste drastique : la menace représentée par les puissances étrangères, européennes notamment.

À partir du XVIe siècle, les Portugais, puis les Espagnols, ont commencé à s'implanter au Japon, cherchant à développer le commerce et convertir le pays au christianisme. Ils ont introduit les premières armes à feu sur l'archipel.

Or, ces puissances étrangères ont été perçues rapidement comme une double menace potentielle par les autorités japonaises.

D'une part, une menace religieuse, le christianisme risquant de déstabiliser l'ordre traditionnel et le shintoïsme national. D'autre part, une menace militaire et politique, les Européens pouvant servir les intérêts de seigneurs de guerre rivaux et fournir des armes redoutables.

Le souvenir des guerres de religions en Europe n'était pas fait non plus pour rassurer le Japon sur les dangers du christianisme...

Une volonté farouche de préserver la paix

Compte tenu de ce lourd passé de violences et des menaces extérieures potentielles, la priorité absolue du shogunat Tokugawa était donc de préserver à tout prix cette paix si durement acquise à partir de 1603.

Pour y parvenir, une politique radicale d'isolement total du reste du monde fut mise en place progressivement. L'idée était simple : couper le Japon de toute influence extérieure susceptible de ranimer les conflits internes et déstabiliser l'ordre établi.

Dès 1633, cette politique d'isolement extrême (Sakoku) est formalisée et systématisée. Les Portugais et Espagnols sont expulsés violemment, le christianisme banni. Puis ce fut au tour des Anglais et des Chinois d'être exclus.

Seuls les Pays-Bas obtiendront le droit de commercer via un comptoir surveillé sur l'île de Dejima. Pour le reste, le Japon allait s'isoler totalement durant plus de deux siècles...

Le traumatisme des guerres passées et la volonté farouche de préserver la paix expliquent donc clairement les origines de cet isolement extrême qu'a constitué le Sakoku. Une politique radicale pour un pays meurtri en quête de stabilité à tout prix après un terrible « siècle de guerres ».

II - Une fermeture quasi totale sur 250 ans

Concrètement, la mise en place de la politique d'isolement extrême du Sakoku à partir de 1633 s'est traduite par une fermeture drastique des frontières maritimes et terrestres du Japon. Le pays va rester verrouillé sur lui-même de manière quasi totale pendant près de deux siècles et demi.

Sakoku

Des frontières maritimes sous haute surveillance

Sur le plan maritime, seuls quelques ports bien précis sont autorisés pour commercer avec l'étranger, sous étroite surveillance. Des comptoirs spécifiques sont établis, où les échanges sont tenus à l’œil.

Le port de Nagasaki accueille le comptoir des Pays-Bas sur l'île de Dejima. Celui de Tsushima sert pour les relations avec la Corée. Quelques ports du nord sont ouverts au commerce avec la Chine et les Aïnous.

Mais dans l'ensemble, les côtes japonaises sont fermées. La construction de grands navires capables de naviguer en haute mer est interdite, pour prévenir tout voyage vers l'étranger. Le Japon se coupe délibérément du monde extérieur.

Des frontières terrestres rigoureusement gardées

Sur terre, des postes de garde surveillent étroitement les principaux points d'entrée comme les îles Tsushima et Matsumae, seuls lieux de passage tolérés. Le franchissement illégal des frontières est passible de la peine de mort.

Même à l'intérieur du pays, la circulation est strictement contrôlée. Des postes de contrôle surveillent les déplacements sur les principales routes. Un système de laissez-passer est mis en place. Les voyages sont limités au strict nécessaire.

Le but est clair : empêcher toute entrée ou sortie incontrôlée sur le territoire japonais. La consigne est de tout verrouiller.

Quelques échanges limités maintenus

Le Sakoku ne rend pas le Japon complètement hermétique pour autant. Quelques relations restreintes sont maintenues avec la Corée et surtout la Chine. Les échanges culturels et limités commerciaux se poursuivent via Tsushima et les ports du nord.

Les Pays-Bas parviennent aussi à commercer sous surveillance depuis leur comptoir de Dejima, mais les échanges restent limités. Seuls quelques produits spécifiques (médicaments, livres scientifiques, armes défensives...) sont autorisés.

Hormis ces exceptions, le Japon demeure fermé au monde extérieur. Les Européens autres que les Hollandais sont bannis, ainsi que les Catholiques. Même les autres Asiatiques voient leurs échanges restreints drastiquement.

250 ans d'isolement relatif

Bien qu'incomplète, cette fermeture très stricte des frontières a isolé le pays du reste du monde durant près de deux siècles et demi, entre 1633 et 1854. Hormis les rares contacts mentionnés, le Japon s'est coupé de façon radicale des apports extérieurs.

Certes, le Sakoku n'est pas une fermeture totale. Mais l'isolement reste très important et les contacts filtrés. Cette politique explique le retard pris par le Japon dans certains domaines techniques notamment.

Pendant 250 ans, la société japonaise s'est repliée sur elle-même, évoluant en vase clos, à l'écart des influences extérieures. Une situation unique au monde à une telle échelle.

Ainsi, en verrouillant étroitement ses frontières terrestres et maritimes, le Japon s'est isolé de manière quasi complète du reste du monde pendant toute la période Edo, cherchant à se couper de toute menace venue de l'étranger.

III - Conséquences: un Japon "figé" pendant deux siècles

Cette politique d'isolement extrême du Sakoku, en coupant quasiment tout contact avec l'étranger, a eu des répercussions très profondes sur la société japonaise. Privé d'influences extérieures, le Japon s'est en quelque sorte "figé" pendant près de deux siècles.

Sakoku

Un repli culturel sur les traditions nationales

Sur le plan culturel, le Sakoku a renforcé le sentiment d'unicité de la civilisation japonaise et le repli sur les traditions locales. La société se recentre sur elle-même, sur ses coutumes et ses codes ancestraux.

L'influence culturelle étrangère, perçue comme une menace pour l'identité nationale, est écartée. Les coutumes japonaises sont idéalisées et constituées en modèle de référence. L'étranger est vu avec méfiance.

Cet entre-soi prolongé accentue certains particularismes nippons. La langue japonaise elle-même évolue peu, les apports lexicaux extérieurs étant bloqués. Le pays se coupe de toute modernité venue d'ailleurs.

Un retard technologique grandissant

Sur le plan technique et scientifique, les conséquences de l'isolement sont également très sensibles. Privé des innovations venues d'Europe, le Japon prend un retard croissant dans de nombreux domaines.

L'industrie manufacturière et minière stagne, faute de machines modernes. Certains procédés de fabrication plus avancés ne sont pas introduits. Même constat dans la construction navale ou l'armement, avec une raréfaction des armes à feu notamment.

Seules l'imprimerie et quelques rares techniques médicales importées des Pays-Bas s'implantent réellement. Le décalage se creuse avec les nations occidentales en pleine révolution industrielle.

Une société hiérarchisée figée dans l'immobilisme

Sur le plan social, le Sakoku a également figé la société japonaise dans un carcan hiérarchique rigide. La stricte division entre nobles guerriers, paysans, artisans et commerçants se perpétue.

L'ascension sociale est bloquée. Chacun reste à sa place au sein d'un système féodal sclérosé, où l'individu compte peu. La priorité est le maintien de l'harmonie sociale et de l'ordre établi, dans une société reposant sur le groupe.

Toute velléité de changement est prohibée. Le Japon s'immobilise dans un conformisme social total pendant près de 250 ans. Le Sakoku a pour effet de figer en profondeur la société japonaise d'alors.

Des effets positifs limités

Certains aspects culturels connurent cependant un approfondissement certain durant cette période, comme les arts traditionnels nippons (estampes, ikebana, théâtre kabuki...).

Le sentiment d'appartenance nationale s'en trouve renforcé. Mais dans l'ensemble, le revers de l'isolement fut un décalage croissant vis-à-vis des évolutions qu'ont connues les nations occidentales à la même époque.

Privé des apports extérieurs, le Japon s'est enfermé dans un cocon pendant près de deux siècles. Sakoku oblige, le pays s'est « figé » sur bien des plans. Lorsqu'il s'ouvrira à nouveau vers 1850, le retard accumulé nécessitera une modernisation accélérée.

IV - La fin du Sakoku et l'ouverture forcée du Japon

Après plus de deux siècles d'isolement, la politique du Sakoku arrive à son terme au milieu du XIXe siècle, sous la pression des puissances occidentales. Le commodore américain Matthew Perry joue un rôle décisif dans cette ouverture contrainte du Japon.

La pression grandissante des puissances occidentales

À partir des années 1830, les navires de guerre occidentaux commencent à rôder autour du Japon, cherchant à mettre fin à sa politique isolationniste. Russes, Britanniques et Américains veulent ouvrir des relations commerciales.

Leurs tentatives restent d'abord infructueuses. Le shogunat Tokugawa maintient fermement sa politique de fermeture du pays. Mais la pression monte et le rapport de force maritime tourne à l'avantage des puissances industrielles.

En 1846, les Américains annexent les îles Bonin, voisines du Japon. En 1853, le président Fillmore décide d'en finir et envoie une escadre sous le commandement du commodore Matthew Perry pour forcer le Japon à s'ouvrir, par la menace si nécessaire.

L'arrivée de la flotte du commodore Perry

Le 8 juillet 1853, Perry arrive dans la baie d'Edo (Tokyo) avec 4 navires de guerre puissamment armés. Face à lui, les défenses côtières japonaises sont obsolètes. Le rapport de force est écrasant.

Perry remet une lettre exigeant l'ouverture de relations commerciales et le ravitaillement pour les navires américains. Le shogun accepte à contrecœur de recevoir la lettre mais Perry repart aussitôt, promettant de revenir l'année suivante.

En février 1854, il est de retour avec 7 navires encore plus armés. Cette démonstration de force achève de convaincre les autorités japonaises. Malgré 250 ans d'isolement, le Sakoku vole en éclats.

Le traité de Kanagawa et la fin du Sakoku

Le 31 mars 1854, sous la menace des canons de Perry, le Japon est contraint de signer la Convention de Kanagawa avec les États-Unis. Les Américains obtiennent l'ouverture de deux ports, le ravitaillement de leurs navires et des tarifs de faveur.

C'est la fin du Sakoku. En 1858, un traité similaire est signé avec les Pays-Bas, la Russie, le Royaume-Uni et la France. En quelques années seulement, le verrou isolationniste qui a duré plus de deux siècles saute brutalement sous la pression des canons étrangers.

Le début de l'ère Meiji

L'humiliante capitulation face aux puissances occidentales discrédite le shogunat Tokugawa, déjà affaibli en interne. Une vague patriotique hostile aux étrangers se développe.

En 1867, l'empereur Mutsuhito reprend le pouvoir effectif et entame la restauration de Meiji, qui ouvre une ère de modernisation rapide. Le Japon abandonne définitivement le Sakoku pour s'ouvrir au monde, afin ne plus subir d'humiliations.

Ainsi, après 250 ans d'isolement volontaire, le Japon a été brutalement contraint à l'ouverture au milieu du XIXe siècle, sous la pression militaire des puissances occidentales. Cet épisode marque la fin d'une époque, et le début d'une nouvelle ère.

V - Héritage du Sakoku : entre tradition et modernité

Bien que brutalement aboli au milieu du XIXe siècle, le Sakoku a laissé des traces profondes dans la culture et la société japonaise. Malgré une modernisation rapide sous Meiji, cet héritage persiste jusqu'à aujourd'hui, entre attachement aux traditions nationales et ouverture prudente au monde extérieur.

Un sentiment d'identité nippone renforcé

Ces deux siècles et demi d'isolement ont durablement marqué l'identité japonaise. Ils ont accentué le sentiment d'unicité de l'archipel et de sa civilisation, le repli sur les racines nationales face à l'étranger perçu comme menaçant.

Le Sakoku a soudé le peuple japonais autour de ses traditions séculaires. Arts, langue, codes sociaux : l'héritage culturel nippon s'en est trouvé renforcé, même si certains aspects se sont figés. Cette empreinte profonde perdure aujourd'hui.

Entre ouverture et repli depuis Meiji

Sous l'ère Meiji (1868-1912), le Japon s'est ouvert en grand au monde extérieur pour rattraper son retard. Mais cette modernisation s'est faite de manière sélective, en important la technique et la science occidentales tout en préservant l'essence de l'identité nationale.

Par la suite, le Japon a alterné phases d'ouverture, comme dans les années 1980, et replis nationalistes, illustrés par la politique isolationniste des années 1930. L'esprit du Sakoku affleure encore parfois.

Influences étrangères dosées avec soin

Aujourd'hui, le Japon reste ouvert aux apports extérieurs mais ceux-ci sont soigneusement dosés et adaptés à l'esprit nippon. L'identité nationale reste la boussole. Les emprunts à l'étranger sont « japanisés ».

Le Japon sait habilement tirer le meilleur de deux mondes : traditions locales et modernité occidentale. Il combine avec subtilité respect des coutumes nationales et intégration d'innovations venant de l'extérieur, sans renier ses racines.

Un protectionnisme économique persistant

Sur le plan économique, l'héritage du Sakoku se manifeste encore par un fort protectionnisme visant à préserver l'économie domestique de la concurrence étrangère.

Les importations sont longtemps restées limitées, le marché japonais protégé par de fortes barrières douanières. Même si elles se sont progressivement abaissées, des réflexes protectionnistes demeurent. Le made in Japan reste la norme.

Vision ambivalente de la mondialisation

Le Japon voit la mondialisation actuelle avec une certaine méfiance, y décelant des menaces pour son identité nationale et sa cohésion sociale. Il prône une globalisation "à la japonaise", permettant de filtrer les apports extérieurs.

L'archipel fait preuve d'une ouverture prudente et sélective, gardant présent à l'esprit l'héritage du Sakoku. Entre traditions et modernité, le juste équilibre demeure un défi constant.

Ainsi, malgré une ouverture rapide après 1868, l'esprit du Sakoku imprègne encore en profondeur la culture et la société japonaises. Il a durablement façonné l'identité nippone entre repli sur soi et ouverture modérée au monde extérieur.

Questions fréquentes

Quelle était la durée du Sakoku?

Le Sakoku, ou isolement total du Japon, a duré environ 250 ans, de 1633 à 1854, sous le shogunat Tokugawa.

Pourquoi le Japon s'est-il isolé?

Le Sakoku visait à préserver la paix et la stabilité acquises par le shogunat Tokugawa depuis 1603, en coupant le Japon des menaces extérieures, surtout européennes.

Le Japon était-il totalement fermé pendant cette période?

Non, quelques relations restreintes ont été maintenues avec la Chine, la Corée et les Pays-Bas, sous haute surveillance. Mais les échanges avec l'étranger étaient réduits au minimum.

Comment le Sakoku a pris fin?

Sous la pression des puissances occidentales au milieu du XIXe siècle, avec l'arrivée du commodore américain Perry en 1853. Le traité de Kanagawa de 1854 a acté la fin du Sakoku.

Quelles traces le Sakoku a-t-il laissées sur le Japon d'aujourd'hui?

Il a renforcé l'identité nationale japonaise et le goût de la tradition, tout en créant un décalage technologique avec l'Occident. Ce double héritage persiste.

Conclusion

Le Sakoku constitue un moment capital de repli isolationniste sans équivalent, témoignant de la volonté farouche du Japon Tokugawa de se protéger en coupant les contacts avec l'étranger. S'il a eu des effets controversés, il a durablement marqué l'identité nippone. Aujourd'hui encore, entre tradition et modernité, l'esprit du Sakoku n'est jamais loin dans l'archipel.


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